Le Musée canadien de la guerre détient des millions d’objets dans la Collection nationale.
Mais parfois, il est nécessaire d’aller au-delà de notre collection pour pouvoir présenter un large éventail de récits sur l’histoire militaire du Canada.
Cette photo de Masumi Mitsui en est un exemple. Elle provient du Nikkei National Museum à Burnaby, en Colombie-Britannique.
Sur cette photo, on voit le sergent Masumi Mitsui tenant un portrait de lui-même à un jeune âge en uniforme. Le portrait date de l’époque de la Première Guerre mondiale.
Mais il ne s’agit pas d’une simple photo d’un ancien combattant qui est fier de son service en temps de guerre. L’histoire associée à cette image s’étend sur des décennies, traverse les deux guerres mondiales et continue au-delà.
Mitsui est né dans une famille de militaires au Japon en 1886. Il a émigré à Victoria, en Colombie-Britannique, en 1908, où il a travaillé comme agriculteur et maître d’hôtel.
Mitsui tenait à servir pendant la Première Guerre mondiale. N’ayant pas réussi à s’enrôler en Colombie-Britannique, il s’est rendu en Alberta, à l’est, où il a été accepté pour le service outre-mer en 1916.
Aux côtés de ses compatriotes canadiens du 10e bataillon, le soldat Mitsui a combattu à la crête de Vimy en avril 1917. Cette victoire coûteuse en est venue à symboliser les réalisations importantes et les grands sacrifices du Canada pendant la guerre.
Mitsui a été blessé au combat un peu plus tard au cours du même mois mais s’est rétabli et a continué à servir. Pour sa bravoure en menant 35 hommes au combat à la cote 70, près de Lens, en France, en aout 1917, il a été promu sergent et a reçu la Médaille militaire.
Après la guerre, Mitsui est retourné en Colombie-Britannique et s’est installé sur une ferme, où il élevait des poules. Il s’est marié, et lui et sa femme, Sugiko, ont eu quatre enfants.
Il a également aidé à mener la lutte pour le droit de vote des Canadiens japonais. À l’époque, ces derniers n’avaient pas le droit de voter aux élections en Colombie-Britannique à cause de la discrimination raciale. Mitsui et d’autres ont remporté une demi-victoire en 1931, année où les anciens combattants canadiens-japonais ont obtenu le droit de vote.
Malgré cette victoire, l’hostilité envers les Japonais s’est accentuée dans les années 1930. Certains Blancs considéraient la communauté canadienne-japonaise en Colombie-Britannique comme une menace économique. Leurs craintes étaient alimentées en partie par la hausse du chômage pendant la grande crise économique.
Lorsque le Canada est entré en guerre contre le Japon en décembre 1941, Mitsui a écrit au gouvernement en vue de s’engager. Sa demande a été refusée. Il ne se doutait pas que sa vie était sur le point d’être bouleversée.
En 1942, le Canada a commencé à détenir les Canadiens japonais, à saisir leurs biens et à les transférer de force dans des camps loin de la côte du Pacifique. Ce fut une période de profonde peur et de perturbations. Pour décrire ces événements, on emploie le terme « internement des Canadiens japonais », mais aussi « déracinement », « déplacement forcé » et « détention ».
Masumi Mitsui a reçu l’ordre de s’enregistrer pour être déplacé. Il est allé avec sa fille et a emporté ses médailles. Selon la légende familiale, il a également porté son uniforme.
D’après sa fille, il a abordé l’agent responsable de l’enregistrement en s’exclamant : « Qu’est-ce que vous me faites? J’ai servi mon pays. Vous m’avez tout pris. […] À quoi servent mes médailles? » Masumi Mitsui a jeté ses médailles sur le bureau de l’agent, et elles sont tombées par terre. L’agent les a récupérées et les a remises à Mitsui, mais il n’a pas défendu la politique du gouvernement.
Masumi Mitsui et sa famille ont été déplacés de force à Greenwood, en Colombie-Britannique. Leurs terres, leurs granges, leur maison nouvellement construite, leurs meubles et toutes leurs poules ont été saisis et vendus à des prix extrêmement bas.
Après la guerre, le gouvernement canadien a continué de restreindre les libertés civiles des Canadiens japonais. On leur a donné le choix de partir au Japon ou de s’installer à l’est des Rocheuses canadiennes. Masumi Mitsui avait passé les 22 premières années de sa vie au Japon, mais le Canada était sa patrie. La famille a décidé de déménager à Hamilton, en Ontario.
Ils avaient tous été profondément marqués par l’internement des Canadiens japonais. Pendant des années, Mitsui a refusé de porter ses médailles ou de participer à des événements officiels du jour du Souvenir. Même s’il voulait honorer les anciens combattants canadiens, il se sentait trahi par l’injustice que lui et sa famille avaient subie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Cette photo montre Mitsui lors d’une cérémonie de commémoration privée.
En 1985, dans le cadre de la campagne organisée par les Canadiens japonais pour faire réparer les injustices qu’ils avaient subies pendant la Seconde Guerre mondiale, le sergent Masumi Mitsui, alors âgé de 98 ans, a été invité à participer à une cérémonie à Vancouver.
À l’époque, il était le dernier vétéran canadien-japonais de la Première Guerre mondiale encore en vie. Au cours de la cérémonie, portant ses médailles, il a aidé à rallumer la flamme éternelle du souvenir qui fait partie du monument aux morts canadien-japonais, érigé en 1920. Elle avait été éteinte en 1942.
Masumi Mitsui est décédé en 1987, un an avant la signature par le gouvernement du Canada d’un accord de redressement de la communauté canadienne-japonaise, qui a inclus d’indemnisation financière et des excuses officielles pour le traitement que l’État a réservé aux Canadiens japonais pendant la guerre.
Pendant la Première Guerre mondiale, Masumi Mitsui a servi courageusement dans les forces armées canadiennes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’ancien combattant et leader communautaire bien connu a fait l’objet d’une grave injustice. Mitsui n’a jamais oublié les guerres mondiales et le service que lui et ses camarades ont rendu au Canada. Le souvenir est demeuré au cœur de sa vie.